Interview de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, sur RFI Bucarest (8 juillet 2023)

Partager

C’est aujourd’hui le cinq centième jour de l’invasion russe en Ukraine. Depuis le premier jour, la France a montré une position pro-ukrainienne cohérente. La France est-elle prête à continuer à soutenir l’Ukraine à l’avenir ? En particulier, avec des armes offensives ou la formation des pilotes ?

En ce 500e jour de la résistance ukrainienne, je souhaite tout d’abord rendre hommage à la détermination et au courage de la population et des forces armées ukrainiennes. Leur résistance permet non-seulement à l’Ukraine de se tenir debout, là où beaucoup l’imaginaient s’effondrer en quelques semaines face à l’agression russe, mais elle contribue également à assurer la sécurité de l’ensemble du continent européen.

La France a affirmé à plusieurs reprises qu’elle soutiendrait l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire pour lui permettre d’assurer la légitime défense de son indépendance, de sa souveraineté et de son intégrité territoriale dans ses frontières internationalement reconnues. Personne ne doit douter de notre détermination à tenir cet engagement.

Le soutien que nous apportons vise à répondre, en concertation avec nos alliés et partenaires, aux besoins exprimés par les autorités ukrainiennes. Il s’agit d’abord d’aider à très court terme l’Ukraine à se défendre face à l‘agression dont elle est victime, avec un accent particulier mis sur la défense anti-aérienne et l’artillerie. Ce soutien va se poursuivre et se renforcer. De nouvelles livraisons de matériel militaire sont en préparation pour coller au plus près des besoins les plus urgents exprimés par l’Ukraine. Mais il s’agit également de renforcer les capacités de l’Ukraine dans la durée et de la doter de capacités suffisamment fortes pour dissuader la Russie de toute nouvelle tentative d’agression à l’avenir. C’est avec cet objectif que le Président de la République a proposé à l’Ukraine que la France forme des pilotes de chasse, conjointement avec plusieurs partenaires européens.

La semaine prochaine, le sommet de l’OTAN se tiendra à Vilnius et Kiev espère recevoir une invitation à adhérer à l’organisation. Quelles sont les garanties de sécurité pour l’Ukraine jusqu’à ce qu’elle rejoigne l’OTAN ?

Notre volonté est que le Sommet de Vilnius permette d’ancrer dans la durée le soutien de l’Alliance à l’Ukraine, mais aussi de donner du corps à sa perspective d’adhésion à l’OTAN. C’est indispensable, si nous voulons être à la hauteur du moment que nous vivons.

Nous travaillons également avec plusieurs partenaires à définir les garanties de sécurité que nous pourrions apporter à l’Ukraine non pas à la place, mais en parallèle à son processus d’intégration à l’OTAN. Ces garanties sont encore en cours de discussion mais leur objectif sera très clair : à court terme, fournir à l’Ukraine les moyens d’assurer sa légitime défense. A plus long terme, contribuer au renforcement de ses capacités pour dissuader toute nouvelle agression.

Il y a, au fond, une certaine logique à fournir des garanties à un pays qui, au quotidien, protège l’Europe et lui fournit des gages de sécurité

Lors de la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine à Londres, vous avez déclaré que la France apporterait une aide irrévocable de 40 millions d’euros à l’Ukraine en 2023 et qu’elle préparait un plan de soutien pluriannuel, de quoi s’agit-il ?

Comme je l’ai annoncé à Londres, mon ministère va mobiliser une enveloppe supplémentaire de 40 millions d’euros pour l’aide humanitaire et l’aide à la reconstruction d’urgence en Ukraine. Avec ces nouveaux crédits, nous allons soutenir prioritairement des projets dans le domaine des infrastructures de base, de la santé et de l’énergie. Il s’agira de projets menés au bénéfice direct des populations civiles. Au total avec ce versement, l’aide humanitaire versée à l’Ukraine depuis le début de l’agression russe de février 2022 dépassera les 300 millions d’euros et viendra s’ajouter aux 2 milliards d’aide macro-financière apportée par la France.

Bien entendu, d’autres secteurs pourront être identifiés au cours des prochaines semaines en fonction des besoins. Nous dialoguons en permanence avec les autorités ukrainiennes pour nous assurer que notre aide, qui est celle de l’Etat mais aussi des collectivités territoriales et des entreprises, parvienne bien là où elle est la plus utile.

Afin de marquer notre détermination à poursuivre cet appui à l’Ukraine dans la durée, nous travaillons actuellement à définir un engagement qui permettra de projeter notre soutien sur plusieurs années.

Il s’agira bien sûr d’un signal à destination de l’Ukraine, mais aussi d’un message adressé à la Russie qui doit comprendre que le temps ne jouera pas en sa faveur et qu’elle ne peut compter sur notre essoufflement.

Alors que la Russie poursuit son chantage nucléaire, menaçant notamment de faire exploser la centrale nucléaire de Zaporizhia, comment la communauté européenne peut-elle empêcher une catastrophe nucléaire ? Des sanctions seront-elles imposées à Rosatom ?

La situation de la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus grande centrale nucléaire civile d’Europe, doit faire l’objet d’une grande vigilance.
Nous sommes en contact constant avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui accomplit un travail remarquable pour évaluer en temps réel la situation et les risques sur le terrain. Nous soutenons pleinement son action.

Le constat est sans appel : la responsabilité de cette situation incombe uniquement à la Russie qui, par son comportement irresponsable, met en péril la sûreté des centrales ukrainiennes et fait courir un risque d’accident qui aurait des conséquences désastreuses pour l’Ukraine et toute l’Europe.
La seule manière de réduire durablement ce risque est de parvenir à la démilitarisation et la sécurisation de la centrale de Zaporijia, qui ne pourra se concevoir que dans le plein respect de la souveraineté ukrainienne.

Au-delà de Zaporijjia, la France est engagée pour renforcer la sécurité de l’ensemble des centrales nucléaires civiles d’Ukraine et contribue, à travers l’AIEA, à la fourniture d’équipements et de pièces de rechanges essentielles à la sûreté des installations.

La France aide beaucoup l’Ukraine à recueillir des preuves de crimes de guerre, quelles sont les mesures prévues dans ce sens ?

La lutte contre l’impunité des crimes commis en Ukraine est une priorité pour la France. La Russie se rend coupable quotidiennement de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité. Leurs auteurs devront rendre des comptes. Parce que le peuple ukrainien et toutes les victimes de ces crimes ont droit à la justice. Parce que nous avons collectivement un devoir d’exemplarité pour que plus jamais ces crimes ne se reproduisent. Parce qu’enfin, il ne peut pas y avoir de paix sans justice.

La France soutient la justice ukrainienne et la Cour pénale internationale pour documenter et établir la chaine de responsabilité des crimes commis. Pour soutenir ces juridictions, ces juridictions, nous avons déployé plusieurs équipes techniques de médecins légistes et de gendarmes à Boutcha et Irpin dès avril 2022 et dans la région de Kharkiv puis à Izioum fin septembre 2022 : nous aidons l’Ukraine à documenter les exactions et recueillir les preuves. Une nouvelle mission vient d’ailleurs de revenir d’Ukraine, envoyée sous l’égide de la Cour pénale internationale, elle a notamment apporté une assistance aux autorités ukrainiennes en matière de modélisation 3D, de numérisation de scènes de crime, de drones et d’explosifs. La France a également fait don de deux laboratoires mobiles d’analyse ADN, laboratoires uniques au monde qui permettent d’accélérer l’identification des victimes. A Paris, au sein de l’Ecole nationale de la magistrature, nous formons en outre une vingtaine de procureurs et de policiers ukrainiens sur des crimes de guerre, y compris les crimes sexuels et les crimes contre les enfants

Avec nos partenaires européens, nous avons également renforcé le mandat d’Eurojust, l’agence de coopération judiciaire de l’Union européenne, pour qu’elle puisse préserver, stocker et analyser les preuves de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ce lundi 3 juillet, les activités du Centre international pour la poursuite du crime d’agression ont officiellement débuté au sein d’Eurojust : c’est un appui décisif et, il faut le dire, un moment très fort. Notre engagement comme celui de nos partenaires européens est total pour lutter concrètement contre l’impunité des crimes dont la Russie se rend coupable. Car sans justice, il ne pourra y avoir de paix durable.