Au carrefour de trois empires - XVIIe-XVIIIe siècle

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Si l’on s’en réfère à l’étymologie communément admise du mot (Okrajna, provenant du mot kraj, bord, limite, frontière), l’Ukraine est, au XVIIe siècle,, selon la formule de Guillaume Levasseur de Beauplan, auteur de la première carte détaillée de la région, "cette grande lisière d’Ukranie, comprise entre la Moscovie et la Transylvanie", limitée, au Sud, par le Khanat de Crimée vassal de l’Empire ottoman. Elle fait alors partie de La République des Deux Nations, Pologne et Lituanie unies depuis 1569, dont elle suivra les démembrements successifs lors des trois partages de 1772, 1793 et 1795, se trouvant alors progressivement partagée entre Russie et Autriche.

La diplomatie française s’est intéressée, dès le règne de Louis XIII et Richelieu, à ces confins susceptibles de lui fournir une diversion contre l’Empire, une mission qu’elle donne aux premiers ambassadeurs envoyés à Varsovie. L’un de ceux-ci, Brégy, donne, dans les dépêches qu’il transmet à son administration en 1648, une analyse détaillée des origines et le développement de la révolte de l’hetman cosaque Khmelnytsky contre la noblesse polonaise, en notant que « cette république [de Pologne-Lituanie] craint plus les cosaques révoltés que les tartares parce qu’ils ont la pratique du royaume et que la religion qu’ils professent est la ruthène [religion orthodoxes, et non catholique comme la noblesse polonaise] ». Autre source essentielle, ces dépêches de Constantinople où l’ambassadeur retransmet les informations qu’il reçoit sur les mouvements à la frontière de la Crimée.


Plans de villes fortifiées d’Ukraine (Medziboz, Chyhyryn, Bar). Annexes à la dépêche du Marquis de Nointel, ambassadeur de France à Constantinople, 27 janvier 1678.
© Archives du ministère des Affaires étrangères, Correspondance politique Turquie, 133CP14, fol. 73, 75 et 77

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Ambassadeur à Constantinople de 1670 à 1679, Charles Olier de Nointel (1635-1685) a laissé son nom à la postérité pour les précieuses collections d’antiques, médailles, objets d’art dont il fit l’acquisition lors de ses voyages au Levant et dont certaines sont conservées au Louvre. Comme diplomate, on lui doit d’avoir contribué au rétablissement de l’entente franco-ottomane à l’issue de la guerre de Candie à laquelle Louis XIV avait pris part aux côtés des Vénitiens.

Constantinople est aussi un poste d’observation privilégié : l’ambassadeur doit rendre compte à son administration des événements qui affectent la zone frontière avec la Pologne sur laquelle la Porte tente de renforcer son emprise au prix d’expéditions militaires annuelles.

En 1677, la Turquie a lancé en vain une campagne pour s’emparer de la ville de Chyhyryn et des places-fortes de Bar et Medziboz. Vaincue, l’armée ottomane refuse d’évacuer Bar, située à l’entrée de bois qui servent de retraite à quantité de voleurs. Ancienne résidence et capitale de l’hetman (1648 - 1669), Chyhyryn est désignée sur le plan comme la « demeure ordinaire du général des Cosaques, nouvellement fortifiée par les Polonais, aujourd’hui occupée par les Moscovites ». L’emplacement de la maison de Khmelnytsky y figure (n°5). La ville sera détruite au moment du retrait des troupes russes et mise à sac par les Ottomans l’année suivante. La Porte ne renoncera à ses prétentions sur l’Ukraine qu’en 1699 (traité de Karlowitz). Ces événements trouvent un écho dans plusieurs dépêches de Nointel où il évoque le sort de Iouri, fils de l’hetman Khmelnytsky, avec lequel il aurait noué des relations personnelles.

Les plans ont été dessinés par un officier, ingénieur cartographe français engagé au service de la Pologne. En garnison à Chyhyryn, il a contribué aux travaux de fortification pour le compte de al Pologne et assisté aux assauts des rebelles cosaques, qui, ralliés à la Russie, ont tenté de reprendre la ville. Lors d’une récente incursion, l’armée turque l’a fait prisonnier, au mépris de la protection dont la France se prévaut à l’égard de ses ressortissants, en vertu des Capitulations, ensemble de droits et privilèges consentis par la Porte depuis le XVIe siècle et dont Nointel a obtenu le renouvellement en 1673. L’ambassadeur ne donne pas le nom de l’infortuné mais attire l’attention sur son sort et celui de sa femme, tombée en d’autres mains alors qu’elle se trouvait à Scutari.


Tavrica chersonesvs, Hodie Przecopsca, et Gazara dicitur
Carte de l’Est de l’Ukraine et du Sud-Ouest de la Russie, XVIIe siècle. Format original : 46 x 59 cm.

© Archives du ministère des Affaires étrangères, Bibliothèque, pôle géographique, Inv. 2733

Illust:629.5 ko, 1920x1487

Cette carte, de facture ancienne, montre la « Chersonèse Taurique » (actuellement Crimée) dans son contexte géographique (Est de l’Ukraine actuelle et Sud-ouest de la Russie), jusqu’à Kiev et Moscou. La source principale de ce document est l’une des cartes publiées en 1595 dans le célèbre atlas de Mercator, mais avec une emprise étendue au nord et à l’est. L’imprécision de cette carte montre que les géographes de ce milieu du XVIIe siècle, époque probable de la publication de cette carte, on peu de sources d’information sur l’Europe orientale à leur disposition. De nombreux noms géographiques, donnés en latin (héritage de Mercator), sont connus depuis l’Antiquité mais les lieux situés à l’ouest portent des graphies plus contemporaines de consonance slave. La forme erronée donnée au cours du Dniepr montre la connaissance très approximative que le cartographe avait de la région. Le fleuve est désigné par son nom ancien (Borysthène).


Carte curieuse des nouvelles limites de la Pologne, de l’empire Ottoman et des états voisins. Carte établie par Louis Brion de La Tour (1743-1803), ingénieur-géographe du roi, à Paris, 1776.

Cette carte fait partie de la collection rassemblée par le cartographe Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville (1697-1782), initialement conservée au Archives du ministère des Affaires étrangères et envoyée pour conservation définitive à la Bibliothèque nationale en 1924. Elle présente les nouvelles limites entre pays voisins à l’issue du premier partage de la Pologne (1772) entre Russie, Autriche et Prusse. On notera que l’Ukraine est mentionnée comme couvrant un large territoire d’ouest en est, transcendant les nouvelles frontières politiques de la région.

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