Le mouvement national XIXe-XXe siècle

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Dès le début du XIXe siècle, un sentiment national ukrainien apparaît, tant en Galicie sous contrôle autrichien, que dans les zones sous autorité russe, dans les régions orientales anciennement peuplées de cosaques. Le mouvement s’appuie sur la valorisation et la théorisation de la langue populaire et le développement des études historiques et ethnographiques, dont l’un des centres majeurs est l’université de Kharkiv, fondée en 1802. Après les guerres napoléoniennes, le mouvement essaime, associant panslavisme et valorisation de l’identité ukrainienne, et, première manifestation du « Printemps des Peuples », se structure, en dépit de la répression de Nicolas Ier, autour de sociétés secrètes, comme la « Confrérie Cyrille et Méthode », constituée en 1846 autour de l’historien Kostomarov, qui promeut « une république indépendante dans l’union slave » (I. Lebedynsky, Ukraine. Une histoire en question, p. 141).
Sous cette forme, essentiellement intellectuelle, le mouvement national n’a guère pénétré les couches populaires. Mais on note que des révoltes éclatent parmi la paysannerie, qui se réclament aussi des libertés cosaques : le mémoire sur l’insurrection de 1855 dans la région de Kiev, présenté ici, en rend compte.
Enfin, étape essentielle dans l’affirmation nationale : à l’issue de la 1ère guerre mondiale, une délégation de la République populaire d’Ukraine, nouvellement proclamée, vient à Paris en 1919 défendre le droit à l’indépendance du pays à la Conférence de la Paix.


L’insurrection en Ukraine au mois de mai 1855, racontée par un témoin oculaire
© Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, 43MD/44, fol. 192-197

La répression de l’insurrection polonaise contre sa tutelle russe en novembre 1830 a contraint à l’exil ses principaux leaders. Parmi eux, Maciej Rybinski (1784-1874), éphémère commandant en chef de l’armée polonaise et ancien aide de camp du général Suchet sous le Premier Empire, a choisi la France. C’est lui qui adresse ce mémoire au ministre Alexandre Walewski (1810-1868), auquel le lie une commune origine. Il s’agit là d’une précieuse source d’information sur la situation intérieure dans le governorat de Kiev à une époque où la Guerre de Crimée a provoqué la rupture des relations diplomatiques entre la France et la Russie.

Dans cet ancien territoire cosaque, la révolte des paysans qui éclate au lendemain de la mort du tsar Nicolas Ier relève d’une tradition de violences sporadiques dirigées non contre les seigneurs eux-mêmes mais contre leurs régisseurs et administrateurs. Cette fois, s’expriment aussi la nostalgie des libertés cosaques et l’aspiration à se délivrer de la tutelle du gouverneur russe : « Nous voulons être de libres cosaques comme avant. Nous sommes déjà 50.000. Les Russes auront beau faire, nous sommes plus fort qu’eux ». La révolte sera réprimée dans le sang.


En Ukraine
© Archives du ministère des Affaires étrangères, Bibliothèque, 34 G 53

Ce recueil, à l’origine inconnue, rassemble des traductions manuscrites en français de six poèmes de Taras Chevtchenko (1814-1861). Fils de serf, reconnu pour ses talents de graveur et peintre, son renom dépasse de loin les arts graphiques. En effet, sa personnalité et son œuvre symbolisent la renaissance nationale de l’Ukraine au XXe siècle, laquelle s’inscrit dans un vaste mouvement européen d’affirmation des traditions nationales. Il est l’un des fondateurs de la Confrérie Cyrille et Méthode, société secrète à l’origine d’un réveil politique ukrainien et pour cette raison réprimée par le pouvoir tsariste.
Son sort est tragique : il est condamné à 10 ans de travaux forcés, sans écrire ni peindre. Si sa libération intervient en 1857 grâce à la mobilisation de ses amis et les débuts de la libéralisation du régime sous le tsar Alexandre II, il décède rapidement tant le régime carcéral a dégradé sa santé.
Il meurt au moment où une nouvelle génération de militants ukrainiens, essentiellement des étudiants, s’organisent en associations culturelles avides de ressusciter les traditions nationales et de célébrer une forme de séparatisme. Ces patriotes ukrainiens, souvent des étudiants, voient en lui le régénérateur de la littérature ukrainienne et lisent avec ferveur son œuvre littéraire, notamment ses poèmes lyriques que la traduction française ici présentée tente de restituer. Tous ces textes lui sont inspirés par le destin de son pays et les vicissitudes de la relation à la Russie. Chevtchenko meurt quelques années avant que de nouvelles mesures de sévérité ne frappent l’Ukraine : en 1863, la Russie interdit l’édition de livres en ukrainien et l’enseignement dans cette langue.


La revue Ukrainienne, octobre-novembre 1915
© Archives du ministère des Affaires étrangères, Bibliothèque, 241 E 47

La Revue Ukrainienne est l’une des publications officielles de l’Union pour la libération de l’Ukraine. Son rédacteur en chef, Eugène de Batchinski (1885-1978) s’exile, après avoir servi dans l’armée tsariste, en France (1908-1914) puis en Suisse où il défend inlassablement l’identité nationale ukrainienne, à la fois comme journaliste et comme ecclésiastique, fondateurs de paroisses de l’église orthodoxe autocéphale en France et en Suisse. La Revue est un ardent plaidoyer pour la reconnaissance de l’indépendance.


L’Ukraine à la Conférence de la Paix. Paris, 1919
Intervention de la délégation de la République ukrainienne auprès de Georges Clemenceau, Président de la Conférence de la Paix demandant la reconnaissance par la conférence du nouvel Etat indépendant. Paris, 10 février 1919.

© Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, 455QO/209, fol. 42-46

La Conférence de la Paix et la Conférence des Ambassadeurs (CPCA) sont deux entités qui se succèdent sur une même mission, le rétablissement de l’ordre mondial après la Première Guerre mondiale. Cinquante-deux commissions spéciales sont chargées d’étudier des questions précises à caractère politique, économique, financier et militaire. Les Etats admis à la Conférence sont représentés par des délégations qui sont entendues par le Conseil, les commissions et lors de séances plénières alors que les vaincus ne sont pas conviés à la table des négociations. Après la clôture de la Conférence de la Paix, la Conférence des Ambassadeurs veille à l’exécution des Traités et juge les différends territoriaux sous l’égide de la Société des Nations. Elle remplit ce rôle activement de janvier 1920 jusqu’au milieu des années 1920 mais ne cesse officiellement d’exister qu’en 1931.
Les archives de la Conférence de la Paix puis de la Conférence des Ambassadeurs, ont été déposées au ministère des Affaires étrangères (MAE) français car ces sommets internationaux se sont déroulés, en majorité, à Paris. Elles s’organisent en 11 séries thématiques ; le document présenté ici (455QO/209) appartient à la série E, règlements territoriaux qui concerne les revendications territoriales des Etats, anciens, nouveaux et aspirants, et la délimitation de leurs frontières. Trois dossiers concernent l’Ukraine, ses revendications politiques et territoriales dans un contexte de conflit militaire avec les pays voisins et de montée du nationalisme et du bolchévisme ; par ailleurs, les conséquences de ces conflits sur la population civile se retrouvent dans les nombreuses dénonciations des persécutions subies.
Le présent document est la demande déposée par la délégation mandatée par la République ukrainienne à Paris pour que la Conférence de la Paix reconnaisse la république ukrainienne comme un Etat indépendant et souverain. En effet, à la suite de la révolution de février 1917, la République populaire ukrainienne avait été déclarée à Kiev. Restée, dans un premier temps, étroitement liée au gouvernement provisoire russe, la Rada – le Conseil central – avait ensuite, le 22 janvier 1918, déclaré l’indépendance de l’Ukraine et rompu ses liens avec la Russie qui, pour sa part, avait refusé de reconnaître l’existence du nouvel Etat. Un an après, le 22 janvier 1919, la République populaire d’Ukraine signait un acte d’union avec la République populaire d’Ukraine occidentale (constituée en novembre 1918 sur les territoires à majorité ukrainienne de la monarchie des Habsbourg). Un peu moins d’un mois après, c’est donc une délégation parlant au nom des deux Républiques populaires d’Ukraine qui adressait à la Conférence de la Paix cette demande : être reconnue comme un Etat indépendant et souverain et être admise en tant que membre de la Conférence de la paix ; la délégation ukrainienne envisageait alors cette double reconnaissance comme une garantie à opposer aux forces russes et polonaises, notamment, alors en conflit militaire ouvert avec les troupes ukrainiennes.


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