Entretien de M. Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec "France 24" (Paris, 17 avril 2025)
Q - Bonsoir, Christophe Lemoine.
R - Bonsoir.
Q - Vous êtes le porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. On l’a vu, satisfaction de Jean-Noël Barrot - enfin, satisfaction affichée. Quelles sont les avancées que le Quai d’Orsay a pu obtenir, à l’issue de cette journée, sur le dossier ukrainien ?
R - La première des choses qu’il faut saluer, c’est que ces réunions aient eu lieu, dans ce format, aujourd’hui. Ce sont des réunions qui ont réuni les Européens - il y avait la France bien sûr, l’Allemagne et la Grande-Bretagne - avec les Américains et les Ukrainiens, ce qui était un format de discussion utile. Et comme l’a dit le Ministre, ça a permis d’avoir une discussion très ouverte sur nos objectifs, qui ont été rappelés : objectif de cessez-le-feu, bien sûr, mais surtout, à terme, l’objectif d’une paix stable et durable, qui doit être définie d’un commun accord, dans l’intérêt de l’Ukraine bien sûr, d’abord, et puis surtout pour préserver la sécurité des Européens puisque, encore une fois, c’est une guerre qui a lieu sur le territoire européen.
Q - Alors, je vais parler sémantique. Le Quai d’Orsay parle de "l’agression russe sur l’Ukraine", quand Washington se contente d’évoquer une "guerre meurtrière". Est-ce que Marco Rubio accepte aujourd’hui l’idée que Moscou a déclenché la guerre ?
R - Ce qui est clair - et ça a toujours été clair pour la France -, c’est que, quand on regarde les faits, ce sont les Russes qui ont agressé l’Ukraine. Et ça, c’est difficilement contestable. Mais ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui la discussion n’était peut-être pas complètement sur ce point-là, mais elle était surtout sur la manière d’avancer. Donald Trump a quand même dit qu’il voulait obtenir l’objectif d’une fin de cette guerre le plus rapidement possible, et c’est un objectif auquel les Européens et les Ukrainiens adhèrent. Je pense que tout le monde est d’accord pour considérer qu’il faut que cette guerre cesse. Maintenant, la question c’est de savoir comment et dans quels délais. C’était précisément l’objet des discussions aujourd’hui.
Q - Alors, comment et dans quel délai ?
R - Alors, comment ? C’est ce qui a été discuté aujourd’hui. La première des phases, c’est d’abord un cessez-le-feu, c’est-à-dire un arrêt des hostilités sur le terrain, qui permettra ensuite d’enclencher des discussions pour un plan de paix stable et durable. Stable et durable, parce qu’il faut que la paix dans la région soit garantie sur le long terme. Il faut que l’ensemble des parties prenantes ne puissent plus reprendre des conflits. La question, maintenant, c’est d’engager la Russie. La Russie nous dit qu’elle veut la paix. C’est très bien. Maintenant, il faut l’engager sur le fond.
Q - Et vous y croyez ? Vous croyez à la position, aux affirmations de la Russie ?
R - En tout cas, c’est ce que disait M. Peskov il y a quelques minutes : ils veulent la paix. Donc très bien. Maintenant, il faut les engager et tester la bonne foi des Russes à vouloir s’engager dans une discussion qui mènera à un accord de paix stable et durable.
Q - Alors, il y a trois semaines, un mois environ, Emmanuel Macron a convoqué la "coalition des volontaires" et annonçait la création d’une "force de réassurance" en cas de cessez-le-feu. Est-ce que cette force de réassurance, elle peut exister sans les Américains ?
R - C’est une partie de la discussion puisque, encore une fois, quand on parle de paix stable et durable, on parle nécessairement de garanties de sécurité, qui passent par différents moyens. Il y a différentes choses, dans ces garanties de sécurité, mais évidemment, cette force de réassurance est un point. C’est un point a été discuté aujourd’hui. Il est bien évident que, quand on parle d’accord de paix stable et durable, chacun comprend qu’il faudra discuter des garanties de sécurité. C’est une discussion qui est en cours, c’est une discussion qui a évolué, qui a eu lieu aujourd’hui et qui continuera puisque, comme Jean-Noël Barrot l’a dit, il y aura une nouvelle réunion dans ce format entre les Européens, les Américains et les Ukrainiens la semaine prochaine à Londres. Donc c’est une discussion qui est en cours.
Q - En l’état actuel des discussions, est-ce qu’il faut dire "oui" à certaines des conditions que met la Russie pour signer un cessez-le-feu ?
R - Encore une fois, c’est une négociation qui va s’ouvrir avec les Russes. Pour le moment, nous sommes dans une discussion en Européens - il y avait trois pays européens aujourd’hui à Paris, qui représentent l’ensemble des intérêts des Européens - avec les Ukrainiens et les Américains. Viendra évidemment un jour où il faudra effectivement discuter probablement avec la Russie. Et c’est là où nous verrons comment sont reçues les conditions russes et quelles sont les conditions russes qui seront posées à ce moment-là.
Q - Alors, je l’ai évoqué tout à l’heure, Moscou menace de considérer Berlin comme un belligérant au conflit si jamais l’Allemagne livre des missiles Taurus à l’Ukraine. Quelle est la position de la France ? Est-ce qu’il faut soutenir Berlin dans cette espèce de bras de fer qui est en train de s’engager ?
R - Depuis le début de la guerre d’agression russe en Ukraine, les Européens se sont montrés remarquables en termes de soutien à l’Ukraine, en termes de soutien financier, mais aussi en termes de soutien en matériel. La France a donné du matériel de défense, d’autres pays européens l’ont fait. Les Allemands ont d’ores et déjà contribué. Encore une fois, c’est une aide qui est apportée à Kiev, c’est une aide pour aider Kiev, justement, pour contrer l’agression russe. Ça s’inscrit dans l’ensemble des matériels qui ont été donnés par les Etats européens.
Q - Avec les missiles Taurus, on pourrait viser le territoire russe.
R - Oui, mais je pense qu’il y a d’autres missiles qui ont été livrés en Ukraine, d’autres modèles venant d’autres pays, et c’était la même problématique. Des Américains aussi ont livré du matériel de défense à l’Ukraine. Donc, encore une fois, l’initiative allemande s’inscrit dans le soutien constant, depuis le début, des Européens à l’Ukraine.
Q - Alors, autre dossier qui occupe en ce moment le Quai d’Orsay : les relations - pour le moins tendues, c’est le moins qu’on puisse dire - avec l’Algérie. La France a annoncé l’expulsion de 12 agents consulaires algériens. C’est un peu la réponse du berger à la bergère, puisque Alger avait fait la même chose en réaction à l’arrestation d’un ressortissant algérien en France. Où est-ce qu’on en est aujourd’hui ? Est-ce qu’il y a encore un canal de discussion ? Ou est-ce que c’est totalement rompu ?
R - Pour reprendre un tout petit peu l’historique des choses, il y a eu cette décision brutale et extrêmement surprenante de la partie algérienne de demander l’expulsion de 12 agents diplomatiques et consulaires français suite à l’arrestation par la justice française de trois ressortissants algériens qui sont soupçonnés de faits particulièrement graves. Cette décision prise par Alger est, encore une fois, une décision brutale, qui ne répond pas en fait à la question de cette procédure judiciaire. La justice est indépendante en France. Ces trois ressortissants algériens sont soupçonnés de faits graves, et cette demande algérienne était extrêmement brutale. Donc la France a décidé, par la voix du Président de la République, de réagir de manière réciproque, à savoir que nous avons, de la même manière, expulsé 12 agents diplomatiques et consulaires algériens. Et par ailleurs, il a été décidé de rappeler l’ambassadeur de France à Alger pour consultations.
Q - Et aujourd’hui, les discussions, est-ce qu’elles sont… Est-ce que le canal diplomatique est rompu avec Alger, ou pas ?
R - Encore une fois, on ne l’espère pas. C’est l’Algérie qui a décidé de prendre cette décision extrêmement brutale, qui correspond à une procédure judiciaire. La justice est indépendante et il n’y avait pas lieu d’avoir cette réaction, en expulsant 12 agents français. Donc l’ambassadeur a été rappelé pour consultations. On va voir comment avancer. L’objectif in fine, c’est de reprendre un dialogue avec l’Algérie. C’était le sens des déclarations qui avaient été faites par le président Macron et le président Tebboune il y a une dizaine de jours maintenant. L’idée, c’est de continuer sur la voie du dialogue. Simplement, l’expulsion de ces 12 diplomates français ne correspond pas exactement à cette volonté-là.
Q - Bruno Retailleau cristallise apparemment le mécontentement d’Alger, qui accuse le ministre de l’Intérieur, je cite, de "barbouzeries à des fins purement personnelles". Bruno Retailleau a estimé qu’il faut monter en puissance et se dit convaincu qu’il faut un rapport de force avec l’Algérie pour l’obliger à reprendre ses ressortissants expulsés de France. Est-ce que la ligne fixée par le ministre de l’Intérieur c’est celle de la diplomatie française ?
R - Je n’ai pas l’impression qu’il y ait plusieurs lignes. Encore une fois, on est dans la situation où une décision de justice, qui a été prise par la justice française de manière indépendante et qui donc n’a rien à voir avec M. Retailleau, ni même avec M. Barrot. Cette décision de justice déplaît vraisemblablement à Alger, qui riposte par des expulsions de diplomates. La réponse de la France a été une et unique : ça a été une réponse diplomatique en retour, sur la base de la réciprocité. Et encore une fois, le dialogue qu’il doit y avoir avec Alger concerne tous les champs de la coopération que nous avons avec l’Algérie - et il y en a beaucoup, puisque c’est un pays avec lequel nous avons des relations extrêmement denses. Mais en l’espèce, il n’y a eu qu’une réponse, qui a été la réponse d’une expulsion réciproque de diplomates.
Q - Alors, cette brouille diplomatique, elle risque d’avoir des répercussions économiques, puisque des grands patrons des deux côtés de la Méditerranée ont annulé des visites importantes. Est-ce que ça risque de peser, tout ça, sur le partenariat économique qu’il y a entre la France et l’Algérie ?
R - Il faut espérer que non. La relation avec l’Algérie est extrêmement large et extrêmement dense. Là, il est question d’une procédure judiciaire qui est en cours. Et à terme, encore une fois, l’objectif - et c’est ce que dit Jean-Noël Barrot, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, depuis le début de la crise -, c’est que le dialogue est la seule voie de sortie. Donc là, il y a eu effectivement cette décision brutale de l’Algérie, qui a encore une fois généré une réponse réciproque, mais à terme le dialogue devra reprendre.
Q - Merci beaucoup Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Merci d’avoir été l’invité de "France 24".
R - Merci beaucoup.